lundi 31 mars 2014

Coup de coeur : Les expositions bd au centre aixois des Archives départementales des Bouche-du-Rhône 2/2

Comme promis la semaine dernière, la suite de notre coup de cœur du mois qui a pour objet la présentation des expositions bd proposées de 2010 à 2014 et des retombées de ce choix de mise en valeur des fonds.

 


De 2010 à 2014, présentation des expositions B.D
 
En 2010, le souhait de départ des Archives départementales était de monter une exposition « toute faite » avec des planches de bande dessinée déjà existantes et pouvant être mises en lien avec des documents d'archives. L'équipe des Rencontres du 9ème art a proposé un artiste, Jacques Ferrandez. Le thème choisi pour l'exposition a été une rétrospective sur l'Algérie coloniale, sujet déjà abordé dans le travail de ce dessinateur. A la suite de cette exposition, Ferrandez a réitéré l'expérience, à une autre échelle, au Musée des Invalides à Paris.

L'année suivante, M. Blachon suggère de faire travailler un jeune artiste dans le cadre d'une commande. Quatre dossiers d'affaires criminelles en Provence sous l'Ancien régime sont proposés aux candidat(e)s, qui doivent en choisir un, et le concours est lancé au début de l'été 2010. Quinze candidatures sont étudiées par un petit jury composé de représentants de la Bibliothèque départementale de prêt des Bouches-du-Rhône, du festival des Rencontres du 9ème art, des Archives départementales des Bouches-du-Rhône et Arleston, en tant que professionnel de la bande dessinée et membre de l'atelier de créateurs bd d'Aix-en-Provence. Le dossier choisi est celui d'un étudiant des Beaux-Arts d'Angoulême, Hugo Bogo, qui présente un travail sur la condamnation pour sorcellerie du curé Gaufridy par le parlement de Provence en 1611 après qu'il ait été accusé d'avoir séduit une jeune religieuse avec l'aide du diable. Il a aimé dans cette affaire criminelle l'interprétation de l'histoire d'amour interdite comme une possession démoniaque. A la suite de sa visite de l'exposition, la directrice de publication de Casterman propose à Bogo de réaliser une bande dessinée à partir de ce travail. L'album intitulé Le curé du Diable a ainsi été publié au printemps 2013.

En 2012, l'équipe des Rencontres du 9ème art a proposé un artiste, Edmond Baudoin. Le thème de l'exposition est l'eau puisque 2012 est l'année du forum mondial de l'eau. Baudoin effectue également un travail de commande. Il ne s'agit cette fois-ci pas de planches de bandes dessinées mais d'illustrations, trente-huit dessins et dix-sept portraits précisément.

L'an passé, en raison de Marseille Provence 2013, le thème choisi devait avoir un rapport avec la Méditerranée. M. Blachon souhaitait sortir du cadre européen or il n'y a pas de tradition de bd au Proche-Orient. Il y a en revanche des illustrateurs en Palestine, en Israël et au Liban. C'est ce deuxième pays qui a finalement été choisi, notamment pour des raisons pratiques puisque c'est un pays francophone. Deux dessinateurs sont choisis cette année-là, l'un des deux travaillant au Liban, le second étant de nationalité française issu de l'immigration. Le Festival bd a contacté Zeina Abirached qui a elle-même joint son ancienne professeur des Beaux-Arts à Beyrouth, Michelle Standjofski. La commande était la suivante : parler de l'exil. Cependant ce sujet ne les a pas inspiré, Abirached a donc finalement évoqué son émigration tandis que Standjofski a développé un travail autour de son arbre généalogique puisqu'elle est issue d'un melting pot assez original. Chacune a réalisé trente dessins.

Cette année, le thème de l'exposition est la Première guerre mondiale, plus précisément le 15e corps. L'équipe des Rencontres du 9ème art a contacté la maison d'édition Bamboo dont une des collections concerne justement la bd historique et qui a accepté le projet à la condition qu'elle choisisse elle le dessinateur. Daniel Alexandre, alias A.Dan est l'heureux élu. Puis proposition est faite à Jean-Yves le Naour, scénariste bd et notamment de deux albums relatifs à la Première guerre mondiale, d'être commissaire de l'exposition. Il est décidé qu'un album sera publié en même temps qu'a lieu l'exposition. La Faute au Midi sort ainsi le 2 avril, soit dix jours avant le Week end B.D. A.Dan en est le dessinateur, Le Naour le scénariste et Sébastien Bouët, qui travaille sur L'Ambulance 13, le coloriste. Le visuel de l'album sera cependant différent de celui de l'exposition.





 Quelques caractéristiques communes aux expositions bd
 
Concernant le choix de l'artiste, le dessinateur doit être disponible, intéressé par le projet et proposer un délai raisonnable pour le traitement de la commande. La proposition est donc souvent faite à un dessinateur qui sort d'une école de dessin, ou peu connu et en recherche de contrat ou parfois à un artiste reconnu et qui réalisera le travail rapidement.

Professeur de droit en 2011, spécialiste du canal de Provence en 2012 ou encore spécialiste de l'immigration libanaise en 2013, le commissaire d'exposition est systématiquement un expert dans le domaine concerné.

A l'exception de l'édition 2014, la scénographie de toutes les expositions bd a été élaborée par M. Blachon.

La commande exige un certain nombre de travaux et une implication de la part de l'artiste : il doit fournir des dessins et des éléments documentaires, brouillons et travaux préparatoires, et il s'engage à venir lors du Week end B.D et à participer à une conférence.

Des cycles de conférences et de spectacles liés aux expositions sont organisés conjointement lors de chacune d'entre elles. Cela donne une visibilité à l'exposition après le temps du festival pour maintenir l'intérêt et la fréquentation du public. Par exemple en 2013, les spectateurs ont assisté à la représentation d'un conteur libanais et au concert d'un trio musical dont la chanteuse est d'origine libanaise. Cette année un cycle de dix conférences et un spectacle, une pièce de théâtre écrite par le commissaire d'exposition, a été planifié et sa programmation s'étale jusqu'en janvier 2015. Une conférence sera faite par un chercheur allemand afin que soit présenté un point de vue germanique par rapport à la Première guerre mondiale.

Madame Ursch, directrice des Archives départementales des Bouches-du-Rhône, a rédigé l'introduction des deux albums publiés, Le curé du Diable et La faute au Midi, et un petit dossier documentaire a été réalisé et mis à la fin de chaque album. Cela apporte une caution scientifique non négligeable pour ces bandes dessinées historiques.

 
Quelles sont les retombées de ce choix de valorisation culturelle ?
 
M. Blachon confirme que les expositions bd ont eu un impact médiatique certain. Le choix d'associer archives et bande dessinée interpelle des journalistes qui ne connaissaient absolument pas les Archives départementales et font des reportages sur les archives en général et sur les conférences en particulier. Ces expositions bénéficient désormais d'un relais média assuré notamment par La Provence, France 3, France bleue Provence et des organes de la presse bd. En raison du lien de l'exposition avec la Première guerre mondiale, un article de L'Histoire sera cette année consacré à « La faute au midi ». L'alliance avec un art contemporain participe d'après lui certainement à dépoussiérer l'image des archives et à un rajeunissement du public.

Dans le cadre de l'exposition bd 2014, Jean-Yves Le Naour sera invité sur le plateau de France 3 (dans le journal local) et il y aura une annonce dans « La fabrique du centenaire », sur France culture (le vendredi matin, à 9h00, juste avant « La fabrique de l’histoire »).



Il y a en revanche assez peu de retour du public, en tout cas concernant la fréquentation des expositions. Ainsi, de 2010 à 2012, la fréquentation a été identique à celle des autres expositions, voire un peu moindre. M. Blachon explique cela dans le fait que le public des habitués est en partie perdu en raison du thème de la bd, très grand public, alors qu'il a une attente scientifique des expositions qu'il visite aux Archives départementales. Inversement, pour le grand public, ces expositions restent des expositions « archives », scientifiques et basées sur un matériau spécifique, et ils n'osent pas en franchir le seuil. En 2013, la fréquentation à en revanche augmentée de moitié (environ 2 600 personnes en trois mois). M. Blachon pense que cela est dû à la notoriété grandissante du centre aixois mais surtout à un effet communautaire puisque de très nombreux membres de la communauté libanaise, importante dans le département des Bouches-du-Rhône, sont venus la visiter. Il n'est en revanche pas certain que Marseille Provence 2013 ait eu un quelconque effet sur la fréquentation de cette exposition.

Les scolaires sont un public peu touché. En effet, si la question du support n'est pas en soi un problème, il faut que la thématique de l'exposition s'inscrive dans les programmes scolaires. Cette année cependant, l'exposition devrait faire le plein de scolaires en raison du thème de la Première guerre mondiale.

Le public du champs social est en revanche de plus en plus touché, que ce soient les centres de loisirs mais également et surtout les associations et centres sociaux. Cela s'explique d'après lui parce que ces expositions ne sont pas austères, vivantes, avec de nombreuses illustrations, et que des ateliers sont proposés en complément de la visite même de l'exposition.

Un des objectifs de l'exposition 2014 est de toucher les scolaires, via la thématique mais également via un partenariat avec le Rectorat et la participation à une formation de deux jours sur « enseigner l'histoire à travers la bande dessinée et le cinéma ». Deux autres objectifs sont de faire venir davantage de visiteurs pendant le Week end B.D, notamment grâce à des membres de l'association Les poilus de Vaucluse qui seront présents à la bibliothèque Méjanes en costume et distribueront des flyers, ainsi que savoir s'il y a eu un effet Marseille Provence 2013 sur la fréquentation des expositions.


L'exposition « La faute au Midi » sera inaugurée mercredi 2 avril à 18h30. Elle se poursuivra jusqu'au 5 juillet prochain. La première conférence aura lieu dès le lendemain de l'inauguration, jeudi 3 avril à 18h30 : Jean-Yves Le Naour : « Vous êtes tous des Tartarins ! » Le stéréotype du Méridional en 1914. »

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