jeudi 19 mai 2016

Conférence : "Charloun Rieu, un poète paysan"

Dans le cadre de leur cycle de conférences « A la découverte de Provençaux méconnus », les Archives départementales des Bouches-du-Rhône (AD13) proposaient jeudi 18 mai une intervention ayant pour objet « Charloun Rieu, un poète paysan » : Charloun, poète, chansonnier et conteur, sans jamais quitter son village natal des Alpilles et la vie laborieuse des champs, compose une œuvre savante et populaire à la fois. Avec sa traduction de l’Odyssée et ses Chants du terroir, il est une des grandes figures de la poésie en langue provençale.


Cette conférence était proposée par Félix Laffé, historien de la société provençale et archiviste retraité anciennement en poste aux AD13, qui a inspiré nombre de membres anciens et actuels de la Team AEDA. Ainsi, que cela soit notre ancien trésorier Julien, notre actuel gardien du Trésor @Fredimars ou encore notre ancienne secrétaire Anaïs, il leur a tous transmis le goût de l'archive aussi bien lors de Journées européennes du patrimoine qu'à l'occasion d'enseignements dispensés dans le cadre du master professionnel en archivistique d'Aix-Marseille Université. La Team AEDA était donc naturellement présente en force ce jeudi aux AD13 à Marseille pour assister à sa présentation.






Avec un plaisir évident et un sens aigu de la formule, Félix Laffé a présenté l’œuvre et la vie de ce poète issu d'un milieu paysan modeste qui fut gardien de troupeaux en Camargue, transporteur de matériaux pour son père devenu un temps entrepreneur en travaux publics puis journalier et ouvrier agricole pour les fermiers des alentours, sans oublier sa participation au creusement du canal d'assèchement de la vallée des Baux.


Inspiré par ses différentes vies passées essentiellement au cœur des Alpilles dans la commune du Paradou, dans laquelle il naît en 1846 et meurt en 1924, il a écrit des poèmes chantés, parfois en prose, une pièce de théâtre et a traduit l'Odyssée d'Homère, tout cela en provençal. Son œuvre compte pas moins de 133 pièces (ainsi qu'une cinquantaine d'autres ne nous étant pas parvenue).

Il se base sur des moments vécus, souvent rocambolesques, tels que la saisie de ses biens parce que – étourdi – il a oublié de payer ses impôts, son déménagement suite à cet événement, les misères que lui cause son compagnon de toujours le mulet Roubin, son araire qui se brise en huit morceaux ou encore l'huile issue de sa récolte d'olives se répandant partout, etc., pour proposer des poèmes tragi-comiques souvent malicieux.

Son œuvre reflète, on le voit, la vie rurale et un apprentissage de la paysannerie à l'ancienne. Mais Charloun Rieu puise également son inspiration dans les événements de son temps (il témoigne par exemple de l'inauguration du canal d'irrigation de la vallée des Baux, ou rédige un poème relatif au 15e corps, dont il prend la défense, durant la Première guerre mondiale), son intérêt pour le vocabulaire rustique (parfaitement intégré dans ses chansons, ainsi le nom des huit pièces constituant l'araire dont nous parlions précédemment), comme pour les femmes (la plupart des poèmes concernés évoquant le mystère du sentiment amoureux et témoignant essentiellement d'une grande pudeur).




Le caractère chantant de ses textes est mis en valeur par Félix Laffé qui inclut des lectures d'extraits en provençal de plusieurs poèmes, tels que le fameux « Moun San-Miquéu » (« Mon déménagement »), afin d'étayer son propos par ailleurs illustré de nombreux documents d'archives.

Charloun Rieu contribue dès les années 1890 à la revue de Frédéric Mistral L'aïoli et il est indiqué que sa profession est « Félibre » dans le recensement nominatif de 1905. Dans les années 1900-1910 il trouve enfin le temps de s'investir comme il le souhaite dans le mouvement félibrige. Il est ainsi nommé membre à vie du consistoire du mouvement et le représente à Paris lors de conférences.




A sa mort en 1924, il avait acquis une certaine réputation comme poète paysan et nombre d'hommages lui furent rendus dans les années qui suivirent : monument érigé à son effigie sur la place du Château des Baux, grande fête organisée en son honneur et place renommée à son nom au Paradou en 1935, et, encore, l'élévation d'un buste le représentant sur la fontaine située face à la mairie de cette commune en 1965. Félix Laffé justifie notamment cette gloire, qui transcende les clivages politiques, par l'universalité des comportements dans l’œuvre de Rieu.

Ce poète aujourd'hui relativement méconnu est bien présent dans la sphère publique. Ainsi, Félix Laffé a recherché les mentions qui en sont faites dans les dénominations de voies et établissements publics des communes du Sud-Est. Il s'avère qu'elles sont multiples, et pas uniquement au Paradou. On peut citer le collège Charloun Rieu à Saint-Martin-de-Crau, l'impasse qui porte son nom dans le 16e arrondissement de Marseille ou encore la rue Charloun Rieu à Toulon.